La colline de 807 m d’altitude de Komáří hůrka (Mückenberg) qui domine la ville de Krupka est un des points culminants de la chaîne de moyenne montagnes tchèque de Krušné hory (Monts Métallifères)). Elle offre un point de vue remarquable, pratiquement dans toutes les directions.
En 1568, on avait érigé au sommet une tour en pierres avec une cloche. Suite à la construction d’une route montant au Komáří hůrka et l’adjonction d’une auberge à la tour en 1857, cette colline est devenue un point d’attraction pour les touristes.
Dès 1903 on avait commencé à songer à l’installation d’un téléphérique montant au Komáří hůrka. Cependant, les travaux de planification et de préparation furent interrompus par la déclaration de la Première Guerre mondiale. L’idée refit jour dans les années 1930. On envisageait alors la construction d’un funiculaire pour le transport de charges lourdes (camions chargés de lignite destinée à la Saxe toute proche) mais susceptible d’être utilisé aussi pour le transport de personnes. A nouveau, il fallut renoncer à la réalisation de ce projet, cette fois en raison de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale.
Construction du télésiège
Au cours des années 1950, les services municipaux de Teplice, la ville de villégiature voisine, exploitaient déjà des tramways, des autobus et des omnibus ; cependant, les touristes auraient aimé disposer d’un moyen de transport leur permettant de monter sans fatiguer pour respirer l’air pur de la montagne.
Après la fin de la guerre, le constructeur tchèque de téléphériques Wiesner, de Chrudim, allait acquérir la licence de la société suisse Von Roll pour ses télésièges biplaces débrayables. Après l’instauration, en février 1948, d’un régime communiste en Tchécoslovaquie, la société Chrudim qui – désormais nationalisée – était devenue la Transporta Chrudim, allait construire entre 1949 et 1957, selon ce système, six télésièges débrayables totalisant neuf tronçons.
C’est ainsi qu’elle entreprit au début des années 1950 la réalisation d’un télésiège de ce type, partant de Bohosudov, un quartier de la ville de Krupka, pour monter au Komáří hůrka. Pour le transport des matériaux nécessaires à la construction des fondations des 29 pylônes de ligne, il ne fallut pas moins de huit attelages de deux chevaux. On allait également utiliser des chevaux pour l’installation des pylônes.
Avec un tracé de 2.348 m, cette installation est le plus long télésiège en un seul tronçon de la République tchèque et aussi l’un des plus longs d’Europe centrale. La tension du câble porteur-tracteur s’effectue à la station aval (contrepoids) tandis que l’entraînement se trouve à la station amont (poulie d’entraînement à double rainure). Dans la zone de lancement, les sièges sont accélérés sur des rails inclinés sous l’effet de leur propre gravité ; le ralentissement des sièges s’effectue da façon analogue après désolidarisation du câble porteur-tracteur. Dans les deux gares, les sièges sont stockés sur des voies de garage, soit 25 à la gare aval et 25 à la gare amont. Le télésiège a été inauguré le 25 mai 1952 ; en 2022, après 70 ans de service, il était toujours en exploitation, à savoir, chose presque incroyable, pratiquement sans avoir subi de modifications.
Le système de pince VR-101
Cette pince utilisée pour la première fois à Flims en1945 sur le télésiège de Foppa avait été mise au point par l’équipe de conception de la société Von Roll de Berne, Paul Zuberbühler étant alors concepteur en chef. Il s’agit d’une pince mixte utilisant conjointement la force d’un ressort et la gravité. La force de serrage résulte d’une part de la force exercée par un ressort de pression, d’autre part de l’effet de la pesanteur exercée par le siège sur les mors mobiles. L’avantage de ce système est le suivant : en cas de rupture du ressort – chose qu’on ne saurait entièrement exclure – l’effet de la gravité permet de conserver une force de serrage suffisante pour éviter le glissement de la pince sur le câble porteur-tracteur. Le levier d’arrêt assure le verrouillage de l’embrayage en position fermée pendant le trajet et sert en même temps à vérifier si le câble se trouve bien dans la bonne position entre les deux mâchoires à la sortie de la station. Un gabarit géométrique permet par ailleurs de déceler une position incorrecte du levier d’arrêt, auquel cas l’installation sera arrêtée.
La pince à ressort et gravité est pourvue de quatre galets pour le contournement de la station. En ligne, ces galets permettent de passer les pylônes de compression sur des rails de guidage.
Le système Von Roll avec pinces VR-101 a été utilisé jusque dans les années 70 dans douze pays sur quelque 110 installations. Aux Etats-Unis où furent construites entre 1956 et 1977 la plupart des télécabines VR-101 avec cabines deux ou quatre places, destinées aux parcs de loisirs ou aux zoos, quelque unes de ces installations sont encore en service aujourd’hui.
Le télésiège du Komáří hůrka au fil du temps
Après sa mise en service, on allait avoir affaire à quelques perturbations de fonctionnement et maladies d’enfance ; par ailleurs l’alimentation en courant de la station amont devait se révéler problématique. Ces problèmes prirent fin avec le changement d’exploitant : le 1er mai 1953 le télésiège fut repris par la Société des Chemins de fer tchécoslovaques (ČSD).
Le mode d’exploitation du télésiège n’a pas changé au cours de ses 70 années d’existence. Les sièges continuent à être déplacés manuellement dans les stations, le départ d’un siège pour l’accélération dans la zone de lancement est aujourd’hui encore assuré par un préposé, en respectant le délai minimum prescrit.
Ce n’est qu’au cours des années 1982/83 qu’eurent lieu les premières interventions, à savoir la transformation partielle de l’entraînement ; puis les trains de galets furent remplacés de 1986 à 1988.
Le télésiège a été privatisé au cours des années 1990. Son exploitation n’était cependant pas rentable pour son propriétaire et il fut finalement racheté par la ville de Krupka désireuse de le voir rester en service.
Après la mise hors service du télésiège de Sněžka – construit selon le même système – et son remplacement par une télécabine 4 places moderne, de nombreux éléments de cette installation ont été acquis par l’exploitant du télésiège de Komáří hůrka ; celui-ci dispose ainsi d’une réserve de pièces de rechange qui devrait garantir pour un bon moment le fonctionnement de cette installation nostalgique. Chacun des sièges d’origine possède une capote en toile protégeant les passagers de la graisse qui pourrait goutter ainsi que de la pluie et de la neige. Par contre, les sièges provenant du télésiège de Sněžka ont un petit auvent en fibre de verre.
Le 23 septembre 2013, le télésiège, avec ses deux ouvrages de stations a été déclaré monument industriel culturel par l’Institut National des Monuments.
Roman Gric