(Image symbolique) L'enneigement technique divise les esprits dans le débat public. Surtout parce que les arguments de la partie adverse sont peu fondés sur des faits.
Photo: Photo de Hans sur Pixabay

INTERVIEW ISR

Il faut que la nature en profite …

Dans son livre qui va sortir prochainement, la Dr. Ulrike Pröbstl-Haider, Ingénieure, Prof. d’Université, experte renommée en matière de développement des paysages, de la détente et du tourisme à la BOKU (Université pour la recherche en sciences et technologies de l’Environnement et de l’Agriculture) de Vienne, fait le point des connaissances scientifiques sur le sujet "Enneigement mécanique et environnement". Au cours d’un entretien avec ISR, elle dénonce les fausses informations dans le débat public et rompt une lance pour la convivialité entre la pratique du ski et la protection de la nature.

Créé par TS

Au début de l’année prochaine, son livre Technische Beschneiung und Umwelt (Enneigement technique et environnement) paraîtra aux Editions Springerverlag (Premières informations sous link.springer.com/book/9783662697771). Cet ouvrage qui succède au livre Kunstschnee und Umwelt (Neige artificielle et environnement) publié par la Pr Ulrike Pröbstl-Haider en 2006, fait la synthèse des résultats de la recherche obtenus au cours des deux dernières décennies et consigne son évaluation des interférences entre enneigement technique, tourisme et écologie

ISR : Madame Pröbstl-Haider, à quelles conclusions êtes-vous arrivée dans votre nouvel ouvrage ?
Prof. Pröbstl-Haider : Nous avons évalué plus de 40 études et je pense que j’ai pratiquement tout lu concernant ce que la science a étudié sur ce sujet. Les points forts de la recherche ont évolué au cours des années. Au début on se concentrait principalement sur les effets au niveau de la végétation et on entretenait l’inquiétude en laissant envisager des pertes pouvant aller jusqu’à 40% pour la récolte de foin sur la superficie des pistes qui auraient été enneigées mécaniquement. Ce n’est que plus tard que la faune et l’eau furent aussi prises en considération par la recherche. Etant donné qu’il faut un certain temps pour pouvoir constater les modifications intervenant dans la végétation, le premier bilan était encore déséquilibré. Par ailleurs, on n’avait pas suffisamment tenu compte de la mesure dans laquelle des facteurs tels que la fumaison des terrains agricoles, la comparaison entre les surfaces des pistes et d’autre surfaces, l’eau utilisée, etc., pouvaient influencer les résultats de la recherche.

Les travaux de recherche de ces dernièresannées ont permis de prouver entre autres que l’enneigement technique effectué sur des sols secs sensibles et de bonne qualité n’avait pas les conséquences redoutées étant donné que – à exploitation égale ­– l’effet de la sécheresse au cours des mois d’été très chauds n’est pas influencé de façon notable par la présence de grandes quantités d’eau au printemps.

ISR : Le problème de l’eau est de plus en plus au centre des préoccupations…
Prof. Pröbstl-Haider : La question de la disponibilité d’eau a pris beaucoup d’importance car, aujourd’hui, on voudrait enneiger un domaine skiable dans l’espace de deux ou trois jours. Ce qui nécessite bien sûr l’utilisation d’une grande quantité d’eau. Il y a 20 ans, les lacs de retenue avaient désamorcé le « conflit » avec l’écosystème des eaux du fait que cette solution évite le prélèvement d’eau dans un fleuve ou autres eaux naturelles. Mais il ne faut pas oublier que ces bassins de retenue constituent d’importantes surfaces scellées en raison du matériau d’étanchéification du fond.

ISR : Et qu’en est-il du monde animal ?
Prof. Pröbstl-Haider : Il y a eu autrefois beaucoup de discussions concernant la perturbation de la nature par des bandes de bruit lors de longues périodes d’enneigement mécanique qui pouvaient durer des semaines. L’amélioration des techniques d’enneigement, les étangs de neige et l’habitude d’effectuer un enneigement de base en quelques jours font que ces conflits de perturbation écologique ne sont pratiquement plus d’actualité. Trois journées bruyantes dérangent moins que des séances d’enneigement irrégulières réparties sur les 30 jours du mois. Et une chose encore : personne n’est plus économiquement intéressé par une prolongation de la saison jusqu’à la période de pariade des oiseaux. Quand les températures commencent à augmenter, les gens préfèrent planter des primevères dans leur jardin ou reprendre les randonnées en vélo. C’est là juste un petit aperçu en ce qui concerne le monde animal – on pourrait bien sûr encore parler de la réduction d’activité des vers de terre sous la neige artificielle au printemps ou de la perturbation d’autres animaux vivant sous la terre (Remarque : on devine un sourire dans la voix) …

ISR : Quelles conclusions ou conséquences le secteur peut-il et doit-il tirer de tous ces résultats ?
Prof. Pröbstl-Haider : L’idée selon laquelle « une piste enneigée artificiellement est synonyme de catastrophe écologique » est tout simplement une idée fausse ; utilisée correctement en été, une telle piste peut tout au contraire se révéler être un espace vital extrêmement diversifié. Le travail des comités Environnement des entreprises Snow Space Salzburg et Schmittenhöhenbahn à Zell-am-See montre quelle diversité d’espèces on peut rencontrer sur les pistes. Et le message essentiel s’énonce : promotion de la biodiversité et domaine skiable : cela va ensemble. Pour répondre à votre question : je suis d’avis que la double utilisation ski et agriculture devrait en fait être profitable à la nature. C’est déjà un avantage pour la nature que le paillage soit remplacé par le fauchage et l’évacuation de l’herbe coupée, que l’on puisse renoncer entièrement au fumage à partir d’une certaine altitude et que l’on ne débute pas trop tôt la fauche et la transhumance. Une flore variée promet plus d’animaux, d’oiseaux et d’insectes. On peut rencontrer plus de 40 espèces par mètre carré sur certaines pistes de ski, contre sept environ sur le gazon d’un jardin.

ISR : La saison tend à se prolonger, il y a des périodes relativement courtes d‘assez basses températures convenant pour un enneigement efficace. Combien de temps peut-on utilement avoir recours à l’enneigement mécanique suivant l’altitude ?
Prof. Pröbstl-Haider : On ne peut pas le dire de façon générale ! J’ai toujours été agacée en entendant déclarer – dans le cas d’altitudes données – que c’était « la fin » pour certains domaines skiables ou certaines régions. Des chercheurs climatologues tels que le Dr Marc Olefs ou le Pr Dr Herbert Formayer pourraient apporter de meilleures preuves, mais l’altitude n’est pas le seul élément à prendre en considération : la situation géomorphologique pour la sécurité d’enneigement ou l’évolution des périodes d’enneigement mécanique jouent aussi un rôle. Ainsi l’ancien domaine skiable de Dammkar dans le Mittenwald en Bavière ne pouvait pas profiter des avantages de son altitude parce qu’il était extrêmement exposé au vent chaud qu’est le foehn. A l’encontre, Schladming, située dans l’étroite vallée de l’Enns, en Styrie, bénéficie des vents froids soufflant des deux côtés de la montagne en direction de la vallée. Il est alors plus facile de fabriquer de la neige dans la vallée plutôt qu’en altitude. Les périodes d’enneigement représentent donc un facteur spécifique de la zone considérée.

ISR : C’est donc une erreur de juger en bloc ?
Prof. Pröbstl-Haider : Précisément, un jugement en bloc qui ne prend en compte que l’altitude ne correspond pas à la réalité. Il importe d’analyser la situation locale en détails. A cet égard, les stations de ski peuvent profiter d’aides techniques modernes telles que le produit Schneeprophet. En se basant sur les prévisions météorologiques les plus actuelles, les mesures officielles de hauteur de la neige et les données d’enneigement locales, le logiciel simule d’une façon détaillée et avec une haute résolution les conditions générales pour l’enneigement à venir. Ainsi que le montrent les exemples d’utilisation sur le domaine skiable Snow Space Salzburg, un enneigement mécanique nettement mieux ciblé se traduit par une atténuation de l’impact environnemental et une réduction de la consommation des ressources. Les problèmes rencontrés par le domaine skiable de Lackenhof am Ötscher, en Basse-Autriche, ne sont pas dus à son altitude mais ont d’autre raisons telles que sa structure.

ISR : Structure au sens du manque de lits d’hébergement de haute qualité et d’une offre gastronomique appropriée ?
Prof. Pröbstl-Haider : C’est là certainement un aspect important, mais la proximité de Vienne est aussi en quelque sorte « nuisible » pour la station. Si je n’habite qu’à deux heures de voiture d’une station de ski, je n’ai pas besoin d’y passer la nuit, je peux rentrer chez moi le soir. S’il n’y a pas de bons restaurants sur place, j’emporte des sandwichs. D’autres stations ont résolu autrement le problème de la proximité de Vienne et se sont fait un nom en tant que domaines skiables d’une taille raisonnable pour le marché est-européen. En d’autres terme : d’une façon générale, je mettrais l’altitude assez loin en fin de liste et soumettrais d’abord les autres conditions d’ensemble à une appréciation critique.

ISR : L’Autriche a 23.700 ha de pistes de ski, 1.110 téléphériques et compte en gros 50 millions de journées-skieurs par an : Y a-t-il encore un potentiel vers le haut ou pensez-vous que c’est déjà trop ?
Prof. Pröbstl-Haider : Moins que le nombre de skieurs, ce qui importe est leur répartition sur l’espace skiable. Ce qui m’irrite souvent dans les médias c’est de voir les groupes de randonneurs en skis et à raquettes considérés comme les sportifs écologiques et soucieux de l’environnement, tandis que ceux qui empruntent le téléphérique pour skier sur les pistes aménagées font figure de regrettables touristes de masse. Je tiens à souligner ceci : Sur le plan de l’environnement, ce n’est pas le cas ! Un randonneur à skis « consomme » en gros une superficie 60 fois plus importante que ce qui est le cas pour le skieur sur piste si l’on veut voir les choses en termes d’impact environnemental. La nature s’est accoutumée aux rubans de pistes, mais elle ne peut pas s’habituer aux traces de perturbation individuelles des randonneurs. Si les pistes de ski existantes peuvent enregistrer encore une augmentation des utilisateurs sans qu’il y ait danger et que les gens soient contents comme ça, eh bien d’accord !

ISR : Lors de processus de changement tels ceux auxquels nous assistons actuellement avec le changement climatique, on parle volontiers de nouvelles chances. Existent-t-elles dans le secteur ?
Prof. Pröbstl-Haider : Une nouvelle voie sur laquelle on s’est engagé – et le nombre des nuitées en témoigne – est le renforcement du tourisme d’été et un meilleur taux d’occupation tout au long de l’année. L’objectif consistant à attirer une plus nombreuse clientèle en été fonctionne de mieux en mieux grâce à de nouvelles offres et de nouvelles idées. Néanmoins, la création de valeur ajoutée par jour de vacances est nettement plus élevée en hiver. Un tourisme fonctionnant tout au long de l’année est certes un objectif souhaitable mais tout ce qui se perd en hiver revêt un aspect critique.

ISR : Et il n’est pas possible d’augmenter la création de valeur ajoutée au cours de la saison chaude sans exercer une pression sur le système du fait de la masse de touristes ?
Prof. Pröbstl-Haider : Des formules simplistes telles que le vélo de montagne c’est la nouvelle façon de skier– ça ne peut pas vraiment fonctionner étant donné que les groupes cibles sont beaucoup plus diversifiés pour le vélo et qu’il y a par exemple des personnes d’un certain âge qui continuent encore à skier mais ne peuvent pas imaginer entreprendre une randonnée en vélo de montagne. C’est là une difficulté supplémentaire. Par ailleurs le rapport à la nature est bien différent selon que l’on glisse sur la neige ou que l’on pédale sur un VTT avec lequel la sécurité du cycliste exige beaucoup de concentration sur le chemin direct qu’il a à parcourir.

ISR : Si vous vouliez brosser un tableau idéal d’un tourisme durable à la montagne sans que la notion de durabilité se rapporte uniquement à l’écologie mais s’étende aux composants sociaux et économiques, à quoi ressemblerait ce tableau ?

Prof. Pröbstl-Haider : Le Covid l’a montré clairement : Dans de nombreuses vallées de montagne, le tourisme est un facteur essentiel pour le maintien de l’offre concernant les services locaux – du coiffeur au dentiste. Pour moi, une région « durable » est une région dans laquelle la population locale ne profite pas seulement des équipements de loisir mais aussi de services, infrastructures et postes de travail supplémentaires. Ce que je souhaite c’est que l’utilisation de la nature à travers la pratique du ski se traduise par des rentrées d’argent dont une partie profitera à la nature ; que la biodiversité soit renforcée et que les entreprises investissent dans un fonctionnement écologiquement durable en vue de la protection de la nature et du climat.

ISR : Merci pour cet entretien.


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