TOUT A COMMENCÉ À SAAS FEE
A partir de la mise en service du funiculaire « Metro Alpin » de Felskinn – Mittelallalin en 1984, le nombre des skieurs fréquentant le domaine skiable du glacier augmenta si rapidement que le débit d’à peine plus de 500 p/h du téléphérique à va-et-vient de 3,6 km de long de Saas Fee – Felskinn, datant de 1969, s’avéra vite insuffisant. Un nouveau tracé s’imposait d’autant plus que la gare aval se trouvait à plusieurs centaines de mètres du centre du village où, de surcroît, la circulation automobile était interdite, ce qui imposait aux skieurs un trajet à pied relativement long, avec tout leur équipement, venant s’ajouter aux longues files d’attente. L’installation projetée, avec une gare aval proche du centre du village, devait délester et compléter le téléphérique à va-et-vient existant et en même temps s’inscrire aussi harmonieusement que possible dans le site. Le cahier des charges énumérait les exigences suivantes : débit élevé, stabilité au vent, travée de 1300 m de long permettant d’enjamber une zone avalancheuse, niveau de câble élevé pour éviter au maximum la coupe d’arbres. La gare amont du premier tronçon devait être implantée à proximité de la station intermédiaire, pylône
« Maste 4 » (Morenia), de l’ancien téléphérique à va-et-vient à partir de laquelle on pouvait prendre le téléski d’Egginer. Il était prévu de réaliser par la suite un second tronçon plus court de Morenia à Felskinn. Vu les systèmes existant à l’époque, ces conditions ne pouvaient être remplies qu’en construisant deux gros téléphériques à va-et-vient parallèles à cabines de grande capacité ou un DMC/Funitel pour lequel cependant une travée de 1 300 m de long posait problème du point de vue du câble porteur-tracteur.
LA NAISSANCE D’UN NOUVEAU SYSTÈME
Seul un nouveau système permettait de satisfaire à toutes ces exigences. La société des Luftseilbahnen Saas Fee, dont Hubert Bumann était alors le président directeur général, décida de se lancer dans ce projet ambitieux.
Un défi accepté en 1989 par la société suisse Von Roll Transportsysteme Thun qui développa en collaboration avec les concepteurs Fritz Feuz et Gottfried Hoffmann1) un système conjuguant les avantages d’un téléphérique à va-et-vient à double câble porteur et ceux d’un téléphérique à mouvement unidirectionnel : le « 3S » (3 Seile = 3 câbles) était né.
En principe, il s’agit d’une installation bicâble unidirectionnelle débrayable, comportant un double câble porteur à ancrage fixe et un câble tracteur épissé en boucle continue. On a donc trois câbles pour chaque voie. Un avantage essentiel de ce système est le guidage du câble assuré dans les longues travées par des cavaliers (suspensions intermédiaires) destinés à soutenir les deux câbles porteurs. Cette disposition assure la sécurité de l’appui du câble tracteur en même temps qu’une stabilisation des câbles porteurs. Le doublement du câble porteur fait du 3S un système extrêmement stable au vent. Le guidage du câble tracteur sur cavaliers présente en outre l’avantage d’une réduction de la course du système de tension par comparaison avec les installations bicâbles. Mais avant tout, le système 3S permet la réalisation d’une longueur de travée pouvant aller jusqu’à 3 500 m, chose impossible avec une installation unidirectionnelle bicâble n’ayant qu’un seul câble porteur (la plus longue travée de 3S construite jusqu’ici est, avec 3 034 m, la travée moyenne du 3S
« Peak 2 Peak Gondola » au Canada (voir ci-dessous). Sur un téléphérique unidirectionnel bicâble, le câble tracteur n’est soutenu dans les travées que par les pinces des chariots de roulement. Lors de l’embarquement ou du débarquement des passagers, les premières ou les dernières attaches du véhicule doivent supporter la totalité de la charge du câble tracteur pour une travée entière. Il n’est donc pas question de dépasser quelques centaines de mètres pour la longueur de la travée.
Les chariots débrayables de tous les 3S possèdent huit galets de roulement, soit quatre par câble porteur. Dans les gares, les cabine, d’une capacité de 28 à 35 personnes, se déplacent à l’allure du pas ; le système 3S permet d’atteindre un débit de 6 000 p/h. Le record actuel de 4 500 p/h est détenu par les deux installations de Krasnaïa Poljana à Sotchi.
UNE INSTALLATION TÉMOIN CHEZ VON ROLL
Pour tester le comportement du système et sa sécurité sous tous les aspects avant la réaalisation du premier 3S à Saas Fee, Von Roll avait construit, à l’échelle 1 : 1, une installation de 300 m de long sur l’aire de la société à Thun. Les essais s’étendirent sur deux mois, l’Office fédéral des transports avait été invité à venir se rendre compte sur place de la conception de ce nouveau système. On voulait ainsi éviter les tests sur le chantier, gourmands à la fois en temps et en argent, et fournir au client une installation mise à l’essai et prête à fonctionner. On avait donc simulé différentes situations se présentant en exploitation avec une cabine telle qu’elle serait montée sur le téléphérique circulant jusqu’à une vitesse de 7,0 m/s. Cette installation d’essai utilisait aussi un pylône d’origine de 23 m de haut. Les chariots des 3S de Von Roll consistent en deux moitiés de châssis avec quatre galets chaque et trois attaches de câble tracteur disposées dans l’axe.
PREMIÈRES INSTALLATIONS À SAAS FEE
Le 10 septembre 1991, la première cabine allait être mise en circulation sur le 1er tronçon du nouveau téléphérique baptisé Alpin Express. La conception et la construction de la cabine 30 places avaient été confiées à Gangloff. L’installation allait répondre en tous points à l’attente du constructeur et de l’exploitant et 25 ans après sa mise en service elle reste, toujours aussi fiable que les premières années, le principal appareil d’accès au domaine skiable. Seule petite ombre au tableau : le dépassement du coût de réalisation de 41 millions de CHF.
La configuration du tracé qui traverse une zone avalancheuse et une zone boisée obligeait à prévoir un système d’évacuation le long des câbles. Le problème est, aussi bien pour les installations bicâbles unidirectionnelles que pour les 3S, la difficulté de faire passer un appareil de sauvetage au-dessus des cabines ; dans le cas de l’Alpin Express 1 on fut donc amené à construire un téléphérique indépendant, mu par treuil, monté dans l’axe du tracé au-dessus des voies de déplacement. Les passagers sont évacués deux par deux à l’aide d’une benne qui leur permet d’accéder à la cabine de sauvetage d’une capacité de 35 personnes.
Etant donné le montant élevé des investissements représentés par cette première installation, la construction du second tronçon fit l’objet d’une nouvelle étude ayant pour objectif de comprimer les coûts ; une comparaison avec le système Funitel allait entre autres servir de base. Une fois définies un certain nombre de mesures permettant de réduire le prix de revient il fut possible de lancer le chantier d’un second 3S pour le tronçon Morenia – Felskinn. Les deux téléphériques fonctionnent indépendamment l’un de l’autre, les passagers doivent changer à la station intermédiaire.
Après ce second tronçon terminé en 1994, Von Roll n’a plus construit de 3S.
PREMIER 3S DE DOPPELMAYR À VAL D’ISÈRE
Alors que Val d’Isère se trouvait devant la nécessité de remplacer l’ancien téléphérique à va-et-vient de Bellegarde datant de 1952, l’exploitant STVI (Société des Téléphériques de Val d’Isère) opta en 2002 pour le système 3S et confia la réalisation de ce projet à la société Doppelmayr qui, après avoir repris le secteur Téléphériques de Von Roll, détenait le savoir-faire nécessaire. Il était toutefois indispensable d’adapter la partie téléphérique, vieille de dix ans, et le chariot pour répondre aux nouvelles règles de l’art. La responsabilité de la partie technique fut confiée à Bernd Meindl. L’étude du projet dans son ensemble allait occuper plus de 30 techniciens de Doppelmayr et représenter au total plus de 15 000 heures de travail. C’est le pionnier du 3S, Gottfried Hofmann, de Doppelmayr Suisse, qui fut chargé de la conception générale et du calcul des câbles.
Les téléphériques 3S de Von Roll sont caractérisés par la construction « flottante » des 3 attaches par véhicule grâce à laquelle, dans le cas de balanciers en compression sans soulèvement d’un véhicule, seules les pinces sont poussées contre les galets. Sur les 3S Doppelmayr le nombre des pinces a été réduit de trois à deux, les attaches débrayables sont rigides et il est possible de passer avec des balanciers en compression flexibles. Les chariots de roulement sont conçus pour un tracé curviligne, ce qui évitait de prévoir des galets supplémentaires pour le contournement des stations le cas échéant. Pour éviter les bruits d’embrayage des pinces, celles-ci ne peuvent plus s’ouvrir au-delà du point mort de la genouillère ; les pinces ne s’ouvrent donc qu’au point d’embrayage sur le câble pour la libération du câble et la prise de câble ; sur le contour de station elles restent fermées.
Depuis 2002, le 3S L’Olympique est opérationnel en tant que seule installation de desserte de l’un des plus vastes domaines skiables du monde, l’« Espace Killy ». CWA a conçu pour les téléphériques 3S une nouvelle cabine offrant 24 places assises et 6 places debout.
LE SAFARI EXPRESS À KITZBÜHEL
A peine deux ans après l’inauguration de « L’Olympique », Doppelmayr allait construire un nouveau 3S sur lequel tous les avantages du système étaient pour la première fois exploités à fond.
Ce téléphérique enjambe une profonde vallée pour relier les deux domaines skiables de Kitzbühel/Kirchberg (Pengelstein) et Jochberg/Resterhöhe (Talsen). Avant la réalisation de cette installation, la liaison entre ces deux domaines était assurée uniquement par bus.
Le 3S « Safari Express » d’une longueur développée de 3 642 m franchit une dénivelée de 137 m seulement, avec comme particularité la longueur inhabituelle de la travée, soit 2 650 m entre le pylône N° 1 de la gare aval et le pylône N° 2 de 80 m de la gare amont.
En présence d’un tracé de 3,6 km de long avec une travée enjambant plus de 2,5 km, la seule solution autrement possible pour assurer le débit requis de 1 600 p/h aurait été un téléphérique à va-et-vient avec cabine de 250 places. Or, étant donné que la voie monte en direction des deux gares, la force de traction des deux cabines se serait additionnée ce qui aurait nécessité une puissance d’entraînement de pointe de 3 500 kW, soit trois fois celle nécessaire sur un 3S. Et il aurait alors fallu prévoir une réinstallation de l’alimentation en énergie.
Le Safari Express présente un certain nombre de particularités : dans la cabine N° 1, à la place normalement occupée par les sièges du milieu, une plaque de verre pratiquée dans le plancher permet aux passagers d’admirer le paysage se déroulant sous leurs pieds, 400 m plus bas. Les poulies sont dotées de diabolos de secours (indispensables pour la récupération intégrée, aujourd’hui la règle sur les téléphériques 3S) et des anémomètres ont été prévus sur tous les pylônes et accessoirement sur un cavalier. Les pylônes Nos 1 et 3 proches des stations ont été réalisés en tant que portiques à encorbellement.
L’importante distance au sol et la difficulté du terrain en hiver posaient problème pour la réalisation du système d’évacuation ; il fallut donc développer une solution ad hoc : dans les gares, deux chariots de secours sont élevés par une grue et posés sur les câbles ; ils sont alors tirés chacun par un treuil de secours à entraînement diesel. Les attaches des chariots de roulement sont détachées du câble tracteur en ligne et les cabines sont ramenées vers les gares à l’aide des chariots de secours. Ce premier téléphérique 3S implanté en Autriche a permis de réaliser un projet dont on rêvait depuis des dizaines d’années : relier les deux domaines skiables de Kitzbühel/Kirchberg et Jochberg/Resterhöhe.
« PEAK 2 PEAK GONDOLA » : LA PLUS LONGUE ET LA PLUS HAUTE TRAVÉE RÉALISÉE SUR UN 3S
Le cinquième des 3S par ordre de construction relie les deux grands domaines skiables nord-américains de Whistler et Blackcomb et détient à ce jour deux records dans l’univers des téléphériques : la plus longue travée jamais réalisée sur une installation unidirectionnelle (3 034 m) et la plus haute distance au sol (415 m).
L’idée de relier ces deux domaines skiables allait naître en 1997 lors d’une visite de Hugh Smythe, président de la société propriétaire de Whistler et Blackcomb, et Paul Matthews, président d’Ecosign (Etudes et élaboration de schémas directeurs pour zones de vacances) à Zermatt, au cours de laquelle les deux hommes survolèrent le téléphérique du Petit Cervin et purent admirer depuis l’hélicoptère les câbles resplendissant en plein
soleil. « Les 2 885 m de la travée entre le pylône N° 3 et la gare amont représentent à peu près la distance à surmonter pour relier nos domaines skiables séparés par la profonde gorge de Fitzsimmons Creek ! » s’exclama Hugh Smythe. Trois raisons allaient être décisives pour lancer le projet de construction du téléphérique qui serait en fait le plus cher d’Amérique du Nord : l’extrême sécurité de fonctionnement, l’excellente tenue au vent et le faible impact environnemental du système 3S.
Cependant, la réalisation de ce projet unique en son genre comportait de nombreux défis inhabituels d’ordre technique et organisationnel, ne serait-ce que la présence constante d’ours sur le terrain ou le tirage, sur un terrain extrêmement difficile, des quatre câbles de 4 760 m de long pesant chacun 85 t.
Ce téléphérique de 4,5 km comprend deux pylônes de chaque côté, avec une portée libre de 3 024 m. Les cabines 28 places sont peintes en rouge, à l’exception de deux
cabines argentées ayant une plaque de verre au centre du plancher.
Le « Peak 2 Peak Gondola » est construit pour résister à des vents de 80 km/h. Les cabines sont dotées d’un système d’alerte à radar OCAS (Obstacle Collision Avoidance System) pour avertir les avions de la présence du téléphérique enjambant la vallée.
Cette installation a considérablement augmenté le prestige de la région qui fut d’ailleurs choisie pour accueillir les Jeux Olympiques d’Hiver en 2010.
UN 3S EN TANT QU’INSTALLATION DE PROXIMITÉ : LE TÉLÉPHÉRIQUE DU RENON
La société Leitner qui avait elle aussi mis au point un 3S, en utilisant ses propres chariots de roulement, a réalisé pour la première fois une telle installation en 2008, pour remplacer le téléphérique à va-et-vient de Bolzano – Soprabolzano (Renon). Cet ancien téléphérique (datant de 1966) présentait désormais deux inconvénients majeurs : son faible débit résultant de la longueur du tracé – 4 566 m – et, par suite de la configuration de la ligne, les problèmes causés fréquemment par des chevauchements des câbles dus aux vibrations. Après 41 ans de service, alors qu’une révision générale s’imposait, il était temps de le remplacer. On décida alors de construire une nouvelle installation sur le même tracé. Le problème était l’exigüité du terrain dans la zone des gares ; un téléphérique 3S compact était la solution. Lorsque les véhicules s’approchent des gares la boucle de câble complète est ralentie de 7,0 m/s à 3,0 m/s, les véhicules sont désolidarisés du câble et de nouveau
accouplés à vitesse réduite. Ceci permet d’économiser 20 m sur la longueur des gares. Il y a toujours un véhicule en gare, qui attend l’entrée du véhicule suivant, en sorte que l’embarquement et le débarquement puissent s’effectuer à l’arrêt, dans le calme.
Les nouvelles cabines construites pour le 3S par Sigma peuvent accueillir 35 personnes avec 70 à 80 % de places assises ; ce sont les plus grandes cabines réalisées jusqu’à ce jour pour un 3S. Au début le 3 S du Renon était équipé de huit cabines (débit de 550 p/h) ; avec les deux cabines ajoutées au printemps 2015 il a désormais dix cabines assurant un débit de 720 p/h). Donc, en régime normal, on a 4+4 cabines en ligne (les deux cabines restantes étant chacune dans une gare). Lorsque la fréquentation est moins importante on peut également choisir la configuration 3+3, 2+2 voire 1+1.
Le téléphérique est en service tous les jours de la semaine, jusqu’à 17 heures par jour ; comme le funiculaire du Mendel, il est propriété de Südtiroler Transportstrukturen AG (STA), l’exploitant est la société SAD Nahverkehr AG.
A COBLENCE, LE PREMIER 3S URBAIN
Le premier 3S implanté sur le sol allemand est un téléphérique urbain. Il a été construit à l’occasion de l’exposition horticole, « Bundesgartenschau Koblenz 2011 ». Depuis le mois de juin 2010 il relie le Deutsches Eck, au confluent du Rhin et de la Moselle, à la forteresse d’Ehrenbreitstein. Le téléphérique d’une longueur totale de près d’un kilomètre, passant jusqu’à 40 m au-dessus du Rhin, survole une voie de chemin de fer à forte fréquentation ainsi qu’une route nationale, et offre une vue impressionnante sur la vallée du Rhin.
Ce 3S qui peut transporter jusqu’à 3800 p/h était à l’époque le téléphérique offrant le plus haut débit horaire du monde. On avait réalisé pour la première fois sur cette installation le nouveau concept désigné par le terme d’évacuation intégrée, qui permet grâce à la redondance de tous les éléments du téléphérique indispensables pour le fonctionnement de ramener en toute sécurité les cabines aux gares quelle que soit la défaillance intervenue (Cf. ISR 1/2011, p. 44). Ce système permettait désormais de réaliser des projets considérés jusqu’alors comme impossibles en raison des problèmes posés par l’évacuation. La construction de cette installation représentait un investissement global de quelque 12 millions d’euros.
Sous le prétexte de protection du paysage de la Haute et Moyenne vallée du Rhin inscrit au Patrimoine de l’UNESCO, l’autorisation d’exploitation n’avait d’abord été accordée que pour jusqu’en 2013. Il fallut des négociations complexes, une manifestation de la population à Coblence et plus de 100.000 signatures en faveur du maintien du téléphérique pour obtenir une révision des premières expertises. C’est enfin le 19 juin 2013 que le Comité de l’UNESCO pour le Patrimoine mondial réuni à Phnom Penh décida de prolonger l’autorisation d’exploitation jusqu’en 2026. Ce qui signifie que ce téléphérique très apprécié de la population locale et des touristes pourra rester opérationnel jusqu’au terme de sa vie techniquement prévu. Ce 3S possède lui aussi une cabine avec plaque de verre au centre du plancher.
Le téléphérique est exploité par Skyglide Event Deutschland GmbH de Lindau (Lac de Constance), une filiale à 100% du fabricant Doppelmayr pour qui le 3S de Coblence est aussi une installation de démonstration.
UN 3S, STAR D’UN FILM DE JAMES BOND
Les deux nouveaux téléphériques du Gaiskogel à Sölden, inaugurés en décembre 2010 et réalisés par Doppelmayr pour remplacer le DMC (Double MonoCâble) opérationnel depuis décembre 1988, sont un véritable chef-d’œuvre sur le plan tant technique qu’architectural : sur le premier tronçon une télécabine 8 places, qui avec un débit de 3 600 p/h détiendra jusqu’en 2016 le record mondial2) , sur le second tronçon un téléphérique 3S.
Ce 3S qui attira tout d’abord l’attention par une toute nouvelle conception de l’évacuation s’est vite fait remarquer aussi pour les solutions spéciales relatives aux problèmes de fondations du pylône N° 3, pesant 200 t, et de la gare amont située dans la zone de permafrost. D’une part les fondations spéciales sont aérées en permanence, d’autre part elles sont équipées d’un système hydraulique permettant un réajustement ultérieur (Cf. ISR 5/2010, p. 16 et 17 et 2/2011, p.16-18, 35).
Fin 2014, début 2015 on tournait à Sölden « Spectre », le 24e film de James Bond, avec Daniel Craig dans le rôle principal (première en septembre 2015). La gare amont, le 3S et le restaurant gastronomique apparaissaient à plusieurs reprises sur l’écran. La productrice du film, Barbara Broccoli, déclarait apprécier particulièrement « l’infrastructure 5 étoiles, de la vallée jusqu’à 3 000 m d’altitude » dont elle et son équipe ont pu profiter pendant le tournage.
Jusqu’en 2011 le 3S fonctionnait avec neuf cabines 30 places (autorisant un débit de 1 200 p/h) ; en 2011, on leur adjoignit deux cabines 26 places, équipées chacune de deux réservoirs à eau sous le banc des passagers et sous le plancher. Auparavant, l’eau était transportée dans des bidons qu’on logeait dans la cabine.
L’« EXPRESS DES PRODAINS » À AVORIAZ
Le 3S « Les Prodains » réalisé en 2013 par le groupe Leitner-Poma pour remplacer un téléphérique à va-et-vient 80 places construit en 1963 par la société Applevage était destiné à servir de liaison principale entre Morzine et Avoriaz. C’était le deuxième 3S fourni par Leitner. Il transporte non seulement les skieurs mais aussi, à l’arrivée et au retour, les touristes avec leurs bagages. Il joue ainsi le double rôle d’équipement de domaine skiable et de moyen de transport en commun de proximité. Les cabines s’arrêtent dans les gares pour faciliter l’embarquement et le débarquement. La gare amont a été réalisée en tant que station enterrée afin de respecter au maximum le paysage. Ce téléphérique est lui aussi équipé du système d’évacuation intégré (Cf. ISR 6/2012, p. 20-21 et 4/2013, p. 63).
3 X 3S POUR LES JEUX OLYMPIQUES D’HIVER À SOTCHI
Doppelmayr a eu la chance de pouvoir construire trois 3S pour les Jeux Olympiques de Sotchi en 2014. Le téléphérique Olympic Village, le premier 3S à deux tronçons à fonctionnement continu, desservait le village olympique et la zone olympique d’arrivée. Cette installation dont le débit peut atteindre 4 500 p/h dans chaque sens est actuellement le plus puissant téléphérique au monde ; par ailleurs, un téléphérique à cabines 10 places qui assure le même débit (a été mis en service en novembre 2016) 2). Cette installation comporte en outre des suspentes spéciales pour le transport d’automobiles et peut transporter jusqu’à 33 voitures/heure.
Le troisième 3S, le Psekhako à Sotchi détenait même deux records mondiaux en 2014 : avec une vitesse de 8,5 m/s c’est le téléphérique débrayable le plus rapide au monde, avec une longueur de
5 386 m c’était aussi le 3S le plus long. Entre temps, ce dernier record a déjà été battu deux fois : en 2016 par le 3S Fansipan Legend
(6 326 m) puis par le 3S Hòn Tho’m – Phú Quóc (Vietnam) de 7 900 m de long qui devrait être mis en service au cours de l’année 2017.
LUXE ET HIGH TECH : LE 3S DE PARDATSCHGRAT ISCHGL
Le téléphérique 3S d’Ischgl construit pour remplacer l’ancienne télécabine 4 places de Doppelmayr est considéré du point de vue tant architectonique que technique comme le téléphérique phare de la région et dépasse en termes de luxe et de haute technologie tout ce que l’on avait connu jusqu’ici. A la gare aval, installée au-dessus de la rivière Fimba, les cabines Taris de CWA, utilisées pour la première fois à Ischgl, sont stockées en sous-sol à l’aide d’un ascenseur vertical, du fait du peu de place disponible. Pour tenir compte des mauvaises conditions géologiques dans la zone de la gare amont (permafrost), les forces horizontales résultant de la tension des câbles sont absorbées par un bloc de fondation séparé placé à 150 m derrière la station. Un système hydraulique permet, en cas de mouvements de terrain, de relever l’ensemble de la gare amont implantée dans le permafrost pour rétablir la position correcte. Les cabines peuvent, et c’est là une innovation, recevoir en permanence d’une dynamo sur le chariot l’énergie dont elles ont besoin, p.ex. pour le chauffage des sièges. Le dispositif de rapatriement intégré est une solution technique qui va de soi aujourd’hui sur un téléphérique 3S. (Cf. ISR3/2015, p. 29-31).
Jusqu’à la mise en service du 3S Fansipan Legend, le 3S du Pardatschgrat détenait avec 1 257 m le record de dénivelée pour un téléphérique à va-et-vient.
LE PENKENBAHN – UN 3S PREND LE VIRAGE
A Mayrhofen, le téléphérique unidirectionnel bicâble datant de 1995 a été remplacé par un 3S de Doppelmayr inauguré en décembre 2015, implanté sur le même tracé en conservant l’emplacement des pylônes. Ce qui signifie que, tout comme l’installation antérieure, le 3S présente une déviation horizontale de 6,5° au niveau du pylône N° 1. La construction d’un tel pylône présupposait, outre de nombreux calculs et études, un développement spécifique du programme de simulation. Le matériel et les fonctions ont fait l’objet d’une intense période de tests pendant trois mois à Wolfurt. Le chariot du 3S devait aussi être adapté à la nouvelle trajectoire du câble sur la partie incurvée du trajet. Il a par ailleurs fallu mettre au point un nouveau galet de guidage du câble pour tenir compte des forces de déflexion nettement plus élevées dans la courbe. Autre innovation : la surveillance du guidage du câble sur le pylône d’angle.
A l’architecture particulièrement réussie des stations du nouveau téléphérique de Penken viennent s’ajouter les élégantes cabines de CWA s’inscrivant dans le Design corporatif des remontées de Mayrhofen.
Sur le plan technique, le nouveau téléphérique présente également toute une série de points d’orgue : les convoyeurs verticaux pour le stockage des cabines, le Wifi-divertissement dans les cabines, le système de recharge des batteries entièrement automatique, le système central de lubrification automatique pour les sabots de câble porteur sur tous les pylônes ainsi que le mode d’accès « Easy Boarding » utilisé pour la première fois par Serfauser Bergbahnen. Et, cela va de soi : le système de rapatriement intégré (Cf. ISR 2/2015, p. 30-31 et 2/2016, p. 16-17).
AU VIETNAM, UN 3S DÉTENTEUR D’UN RECORD MONDIAL : LE FANSIPAN LEGEND
Depuis février 2016, un 3S spectaculaire de Doppelmayr/Garaventa conduit les touristes sur un haut-plateau à proximité de la cime du Fansipan, qui est avec ses 3 143 m le point culminant du Vietnam. Bien que d’accès difficile, le Fansipan est, dans toutes les acceptions du terme, un haut-lieu du tourisme. Grâce au téléphérique, les randonneurs les moins aguerris peuvent désormais approcher en toutes saisons le « toît de l’Indochine ». Cette installation de 6 326 m de long en un seul tronçon surmonte, en 15 minutes à peine, une dénivelée de 1 410 m. Le Fansipan Legend est ainsi actuellement le téléphérique 3S le plus long avec la plus importante dénivelée au monde. Déjà au stade du chantier, cette installation se présentait comme un projet hors du commun : étant donné que l’on ne pouvait arriver par camion que jusqu’au niveau de la gare aval, la totalité des travaux d’excavation pour les quatre pylônes et la gare amont durent être effectués manuellement, à la pelle et au pic. Il fallut plusieurs jours de marche pour monter l’outillage dont on avait besoin pour la construction de la gare amont. Les équipes Doppelmayr et Garaventa aidées par la main d’œuvre locale ont accompli une extraordinaire performance. Les cabines Zeta de CWA, de différentes couleurs, peuvent accueillir 30 personnes assises. Le téléphérique est le deuxième au monde sur lequel les cabines soient alimentées en courant par un générateur intégré dans le chariot. L’énorme puissance nécessitée par le 3S est assurée par un double entraînement comportant deux réducteurs et quatre moteurs qui fournissent une puissance totale de 1 630 kW. Pour pouvoir maîtriser les énormes masses en mouvement – jusqu’à 500 t – Doppelmayr a mis au point un nouveau système de freinage. Un logiciel se charge du calcul précis de tous les paramètres de freinage pour assurer un confort maximum des passagers. Le constructeur a également investi une énorme somme de travail et de savoir-faire dans l’élaboration des plans de construction des stations, pour maîtriser professionnellement la dynamique des masses. Le Fansipan Legend est le premier téléphérique sur lequel le trajet de sécurité se trouve – à la gare aval comme à la gare amont – à l’intérieur des bâtiments des stations et non pas, comme à l’accoutumé, après la sortie de station.
Le 3S de Fansipan a pu être mis en service au moment du Nouvel An chinois, ce qui avait exigé une étroite collaboration de Sun Group et de tous ceux impliqués dans sa réalisation.
EISGRATBAHN, GLACIER DE LA STUBAI
Un 3S High Tech de Leitner inauguré récemment sur le Glacier de la Stubai est considéré à l’heure actuelle comme le plus long 3S en deux tronçons et le premier à service continu des tronçons pour les Alpes. Vous trouverez en pages 20-23 du numéro 6/2016 d’ISR un article détaillé de Josef Nejez sur cette installation.
MATTERHORN GLACIER PARADISE – LE 3S SITUÉ À LA PLUS HAUTE ALTITUDE
Leitner a entrepris la construction - qui s’étendra sur trois étés - du 3 S détenant le record d’altitude (gare aval à 3 821 m d’altitude), parallèlement au téléphérique le plus haut d’Europe, l’installation à va-et-vient de Trockener Steg – Klein Matterhorn réalisée en 1979.
Ce double équipement permettra de continuer d’avoir accès au domaine skiable ouvert toute l’année pendant les périodes de révision de l’une de ces installations. Comme sur le glacier de la Stubai, le téléphérique est équipé d’un DirectDrive de Leitner développant 1074 kW, qui permet de réduire le bruit et de ralentir l’usure. Une déviation aussi simple que possible du câble tracteur utilisant seulement quatre poulies et les galets de câble tracteur brevetés, avec système à ressorts sur les pylônes, ménagent le câble tracteur. Le prestige du 3S sera encore rehaussé par les 25 luxueuses cabines high tech « Symphony » de Sigma dont le design est signé Pininfarina, présentées en grande pompe au stand Leitner à l’Interalpin 2015 (voir ISR 3/2015, p. 32-33).
LE PROCHAIN RECORD MONDIAL, UN 3S AU VIETNAM
Il semblerait qu’aucun des records mondiaux enregistrés successivement par les 3S pour l’un ou l’autre paramètre ne soient acquis pour longtemps. Ainsi qu’il ressort de notre résumé de l’histoire du 3S, la plupart des records enregistrés par une installation ont été détrônés, à peine acquis, par un nouveau 3S encore plus audacieux. C’est ce qui est encore en train de se produire avec le téléphérique touristique de Hòn Tho’m – Phú Quóc (devant être inauguré en 2017). Son tracé de 7 900 m de long arrive à la seconde place pour la longueur d’un tronçon unique dans le cas d’un téléphérique destiné au transport de personnes 3). Cette installation est destinée à relier les îles de Hòn Tho’m et Phú Quóc au-dessus de la mer. Des pylônes ayant jusqu’à 160 m de haut sont installés sur deux petite îles entre les deux stations terminales. Comme le 3S Fansipan Legend, le téléphérique à va-et-vient détenteur de record mondial de la Baie d’Ha-Long et de nombreuses autres installations, ce nouveau 3S est réalisé par la société vietnamienne Sun Group Corporation en collaboration avec le groupe Doppelmayr/Garaventa.
1) Le livre de Gottfried Hoffmann
« Ropeway Technology » est un ouvrage phare de la littérature des transports à câbles, Cf. ISR 5/2015, p. 8-11)
2) Doppelmayr a construit à Sölden un télécabine 10 places d’un débit de
4 500 p/h, le nouveau « Giggijochbahn », inauguraé le 19 novembre 2016.
3) Le plus long tronçon au monde d’un téléphérique destiné au transport de personnes est depuis 1989 le téléphérique bicâble à va-et-vient de 13 613 m de long de Norsjö en Laponie (Suède).
Il s’agit du 4e tronçon de l’ancien téléphérique à matériaux de 96 km de long, transformé en télécabine 4 places Linbanan Boliden – Kristineberg